PÈRES DU DÉSERT

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PÈRES DU DÉSERT

PÈRES DU DÉSERT

La spiritualité du désert s’enracine dans une longue tradition d’ascèse, de lutte au sens strict. Tradition aussi bien de sagesse païenne — parvenir à la maîtrise de soi — que religieuse, et frappée d’ambiguïté dès lors qu’à la convergence des méthodes s’ajoute ce que la voie du renoncement au monde peut entraîner à l’égard de celui-ci: sa dénonciation comme œuvre non de Dieu mais du mal. En cela, le désert, réserve de Dieu hantée par les forces obscures, accueille autant l’hétérodoxie que l’orthodoxie. Car il est à la fois l’aridité, le pays «d’épines et de ronces» (Isaïe), domaine des «serpents brûlants [...] des scorpions et de la soif» (Deut., VIII, 14-16), celui de l’esprit impur «qui erre dans les lieux déserts en quête de repos» (Mat., XII, 43), le pays où les Hébreux tentèrent Dieu dans la solitude (Ps., CVI, 14) et celui de la montagne de Dieu (I Rois, XIX, 3-8), l’endroit où Moïse reçoit les tables de la Loi, où Dieu parle au cœur de son peuple (Osée, II, 16), où, enfin, l’Apocalypse situe le refuge de l’Église (Apoc., XII, 5-6). Une telle symbolique n’est pas indépendante de l’état du monde: ni les persécutions du IIIe siècle ni, à l’inverse, la paix constantinienne ne sont sans influence sur les départs pour le désert. Pas plus que n’est à négliger le fait de la prédication évangélique en copte. C’est, en effet, en cette langue qu’Antoine (né vers 251), le «père des moines», entend l’appel du Christ: «Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, puis viens et suis-moi.» Sans doute le caractère édifiant, arétologique, de l’ouvrage intitulé Vie et conduite de notre père Antoine , écrit, vers 356, par Athanase d’Alexandrie, qui s’est voué à la lutte contre l’arianisme — ainsi que le fait qu’il ait été rédigé en grec par un Grec au courant d’œuvres antérieures telles que la vie d’Agésilas par Xénophon ou celle de Plotin par Porphyre — a-t-il occulté l’Antoine historique. Mais il reste qu’une démarche spirituelle exemplaire constitue le fondement du monachisme: il s’agit d’abord de se mettre à l’écoute de la parole (sentences ou «apophtegmes» que l’on recueillera puis s’efforcera de classer à partir du Ve siècle) d’un ancien ayant l’expérience du désert. Antoine s’adonne à cet «exercice de la vertu» aux environs mêmes de son village natal (Qeman) avant de s’enfoncer dans la solitude. Il s’enferme en premier lieu dans un tombeau — voie initiatique pratiquée par les cateuques de l’ancienne Égypte —, où il éprouve les tentations dont le récit frappera le plus l’imagination. Puis il séjourne vingt ans à Pispir avant d’atteindre (n’hésitant pas toutefois à sortir de sa solitude pour apporter son soutien à ses frères) le mont Quelzoûm, où il s’établit dans une grotte. Il y meurt dans «la bonne vieillesse» (en janvier 356, soit à cent cinq ans). La Vie de Paul de Thèbes, premier ermite , que Jérôme écrit postérieurement à la Vie d’Antoine (env. 374-379), apparaît comme un calque de celle-ci. De l’anachorétisme au cénobitisme le chemin est tracé par Pacôme, né vers 286 à Esneh en Haute-Égypte. En fréquentant pendant sept ans l’ermite Palémon, il fait l’apprentissage de l’ascèse — de l’eau, du pain, du sel, peu de sommeil — avant d’être invité (épisode de la rencontre avec l’ange) à regrouper des solitaires dans le désert de Tabennesi. Sa règle comporte l’obéissance au supérieur, essentielle à l’existence même de la communauté. Le zèle ascétique, pourvoyeur d’orgueil, y est nettement tempéré, car l’hésychie (quies et pax ), tant du corps que de l’âme (cf. quatrième canon du concile de Chalcédoine), à laquelle doit tendre le moine, court le risque de l’exagération. Lorsque Pacôme meurt, en 347, il laisse neuf monastères et des milliers d’ascètes. Nombre de témoignages, qui établissent de véritables portraits des solitaires, vont voir le jour: l’Histoire lausiaque (env. 420, dédiée à Lausius) de Pallade, la traduction en latin de l’Histoire des moines d’Égypte (env. 400) par Rufin d’Aquilée, les Institutions des moines . L’histoire y trouve moins son compte que l’apologétique, laquelle revivra grâce à Port-Royal, thébaïde à la française, avec les traductions d’Arnauld d’Andilly. À suivre Pallade et Rufin dans les déserts du Wadi Natrun (la Nitrie), on voit l’ascèse prendre des formes compétitives: à l’ouest, c’est le désert des Cellules (Macaire le jeune, Benjamin, Dorothée); au sud, le désert de Scété (Macaire l’ancien). Mais c’est surtout en Syrie que stylites, brouteurs, dendrites, stationnaires, reclus rivalisent d’ardeur (cf. Théodoret de Cyr, né en 393, et son Histoire religieuse ). Plus doctrinales sont les œuvres d’Évagre le Pontique (346-399) et, parmi les Cappadociens, de Basile le Grand (né vers 330), dont l’influence s’étendra à l’Occident par les Institutions cénobitiques de Cassien (env. 410) et jusqu’à saint Benoît (mort en 547). Une constante se dégage d’Antoine à Cassien: l’importance d’une sagesse pratique propre à éviter l’illusion qui purifie de l’illusion, ainsi que d’une grande confiance («Soyons joyeux toujours car nous sommes sauvés») et d’une aptitude au discernement entre les bons et les mauvais esprits, lequel «est facile et possible par la grâce de Dieu» («La vue des saints n’est pas troublante...»).

Toutefois, les anciens dans l’ascèse parlaient peu. Les sentences en témoignent et leur pratique peut surprendre. La distance est, en effet, grande entre les apophtegmes et les Instructions de Dorothée de Gaza ou Le Pré spirituel de Jean Moschos ou encore L’Échelle de la Montée divine de Jean Climaque qui, depuis les déserts de Palestine et du Sinaï, donnent, à la fin du VIe siècle, de véritables sommes de la spiritualité du désert.

Pères du désert anachorètes célèbres des déserts d'Égypte, considérés comme les initiateurs du mouvement monastique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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